19 février 2020

Ne pas s’apitoyer pour mieux avancer

Jean-Gabriel Poulin, un p’tit gars de la Rive-Sud de Québec, a été repêché par nos Alouettes en 3e ronde, 23e au total, lors du repêchage 2018 de la LCF. Mais, comme pour plusieurs qui souhaitent accéder au plus haut rang de leur ligne de métier, son parcours n’a pas été exempt d’embûches.

Il est 8h, un matin verglacé de janvier, et Jean-Gab est prêt, debout devant un groupe d’une soixantaine de jeunes joueurs de football encore un peu endormis de l’école secondaire Jacques-Rousseau à Longueuil. « Dans la vie, quand on fait face à des obstacles ou à des problèmes, ça ne sert à rien de se poser en victime, dit-il d’emblée. Aujourd’hui, je suis ici pour vous aider à développer des techniques concrètes qui vous permettront de trouver des solutions. Je vais vous expliquer comment j’ai personnellement changé mon état d’esprit pour reprendre le contrôle de ma situation. »

Chaque année, depuis 1998, grâce au programme Ensemble à l’école mis sur pied par l’équipe, une dizaine de nos hommes s’adressent aux étudiants des écoles secondaires de la province avec l’objectif de les motiver à persévérer et à tirer des leçons de leurs échecs tout au long de leur parcours scolaire. Jean-Gab fait partie de l’édition 2020 du programme.

« Mes parents ont toujours fait énormément de sacrifices pour nous. Je pratiquais tous les sports imaginables, mais je me suis rendu compte, au fil des ans, que ma réalité était différente de celle de bien des gens avec qui j’allais à l’école et je jouais au foot. »

Jean-Gab faisait partie du lot de jeunes qui devaient travailler le weekend pour gagner un peu de sous. Pendant que ses amis allaient faire du wakeboard, il emballait le poisson au IGA du quartier. Aujourd’hui, quand il y pense, il est conscient qu’il ne faisait pas pitié, mais ce clivage entre lui et la plupart des jeunes qu’il côtoyait a eu pour effet de miner son estime pendant quelques années.

« J’étais petit aussi, plus petit que les autres, admet le secondeur qui, aujourd’hui, mesure 6 pieds et pèse 217 livres. J’avais beaucoup de cœur, mais mon corps ne suivait pas. Je me suis donc mis à m’entraîner, j’ai grandi, je suis devenu le plus costaud de la bande. Je me suis amélioré au foot, mais ma confiance en moi, elle, restait faible. Je ressentais toujours beaucoup de colère parce que je n’étais pas comme les autres, alors, pour changer de mode, j’ai décidé de changer d’air. Après le secondaire, je suis allé au Cégep Vanier. »

Jean-Gabriel Poulin lors d'une intervention pour Ensemble à l'École

Poser les gestes nécessaires

C’est alors que le p’tit gars (devenu grand et fort) de la Rive-Sud de Québec a pris ses cliques et ses claques et a entamé ses études au collège anglophone de Montréal. Et il n’a pas regretté d’avoir fait le saut, même si la route n’a pas été facile là non plus. Jean-Gab a essuyé son premier rejet sportif lorsque les dépisteurs d’Équipe Canada n’ont pas retenu ses services.

« Je n’ai pas laissé mon moral s’affaisser pour autant, se souvient-il. Je me suis entraîné comme un malade en me disant qu’ils le regretteraient un jour. »

Effectivement, deux mois plus tard, il recevait un appel. Un des joueurs de l’équipe canadienne n’était pas prêt. Jean-Gab, lui, l’était. Il a entamé le camp comme septième secondeur pour finalement devenir secondeur central partant. Cette année-là, son équipe a battu les États-Unis en finale.

Jean-Gab, toutefois, n’a pas obtenu tout ce qu’il voulait. Malgré la bonne performance de l’équipe canadienne, le secondeur n’a reçu aucune offre des universités de la NCAA l’année suivante. En essuyant son deuxième gros refus, il a adopté la même approche.

« Encore là, je voulais que les universités regrettent de ne pas m’avoir sélectionné. J’ai choisi d’aller à l’Université Western, en Ontario, et j’y ai passé les quatre meilleures années de ma vie. C’était difficile, mais ça a valu la peine. »

Jean-Gabriel n’était tout de même pas au bout de ses peines. À la fin de sa première saison, le secondeur a subi une dislocation du coude, une blessure qui l’a empêché de jouer et de s’entraîner à son plein potentiel, en plus de le freiner dans ses travaux et examens.

« Je devais prendre du repos, mais, à ce moment-là, je pensais seulement à tout ce qu’il me restait à faire pour terminer mon année. C’était stressant, admet-il, surtout que je ne m’exprimais toujours pas très, très bien en anglais. J’ai décidé d’en parler à mon entraîneur qui m’a suggéré de demander l’aide de mes profs. Et c’est ce que j’ai fait. Tout le monde s’est bien rendu compte de mon état et m’a accommodé. La morale de l’histoire c’est : parlez à vos profs, parlez à vos coachs. On est fait pour avoir un groupe de soutien et ces gens-là sont formés pour ça. »

À sa troisième année universitaire, c’est l’épaule de Jean-Gab qui lui a joué des tours. Quatre mois et demi avant l’important East-West Bowl, il a subi une opération qui requiert habituellement un bon six mois de convalescence et de réadaptation. Il était hors de question, toutefois, que le secondeur laisse cette occasion passer, le East-West Bowl étant un passage quasi obligatoire pour les joueurs désirant devenir pros.

« J’avais tiré des leçons de mes expériences précédentes et je savais que je n’obtiendrais rien en m’apitoyant sur mon sort. J’ai demandé de l’aide. Beaucoup d’aide. Des médecins, des physios, de tout mon entourage. Puis, trois jours avant le match, les médecins m’ont déclaré apte à jouer. On m’a même nommé capitaine de l’équipe de l’Ouest. »

Puis, le parcours universitaire de Jean-Gab s’est terminé sur la meilleure note qui soit : une victoire de la Coupe Vanier contre le Rouge et Or de l’Université Laval. La réussite, il l’a connue en s’assurant de jouer avec les cartes qu’il avait en main, en restant en contrôle de la situation. Et, surtout, en n’ayant pas peur d’aller chercher le soutien dont il avait besoin.

Jean-Gabriel Poulin lors d'une intervention pour Ensemble à l'École

Une lueur d’espoir

Jean-Gabriel est loin d’être le seul à avoir dû surmonter des obstacles pour se rendre là où il est aujourd’hui, mais d’entendre son discours a pour effet de donner une lueur d’espoir à des jeunes pour qui l’université ou même le Cégep semblent inatteignables.

François Delarosbil, secondeur, joueur de ligne défensive et de ligne offensive des Sphinx de l’école secondaire Jacques-Rousseau s’est retrouvé dans les paroles de Jean-Gabriel. Dyslexique, dysphasique et dysorthographique, François a souvent songé à abandonner l’école. Aujourd’hui, il est en voie d’obtenir son diplôme d’études secondaires et s’est même commis auprès du Cégep de Drummondville.

« En secondaire deux, j’ai coulé tous mes cours, confie le jeune homme. J’ai pensé tout lâcher, mais grâce à mes coéquipiers, à mes parents et à mes entraîneurs, je suis resté à l’école. J’ai augmenté mes notes, j’ai continué à jouer au football et, là, je suis en secondaire cinq et en voie de réussite. »

Comme Jean-Gabriel, François a refusé de se poser en victime. Il a continué de cheminer et n’a pas peur, maintenant, de voir grand.

« Quand je regarde des joueurs des Alouettes, ça m’inspire d’entendre parler de leur parcours scolaire, de savoir comment ils se sont rendus là. Je me dis que, plus tard, je pourrais moi aussi être comme eux. »

Jean-Gabriel Poulin lors d'une intervention pour ensemble à l'École

Inculquer les valeurs de détermination et de persévérance à la relève

Yves Brousseau, enseignant d’éducation physique et responsable du programme de football de l’école Curé-Mercure à Mont-Tremblant, et Mathieu Hinse, policier à la ville de Mont-Tremblant et membre du comité football, ont observé l’impact d’une visite du spécialiste des longues remises Martin Bédard sur leurs étudiants l’an dernier.

« Les jeunes sont durs à lire de nos jours, admet Yves Brousseau, mais j’ai vu beaucoup d’yeux écarquillés lors de la visite de Martin. Les jeunes m’en ont même reparlé après et, ça, c’est signe que l’expérience les a marqués. »

Martin, dont le discours est axé sur l’intimidation et la détermination, a inspiré bien des jeunes depuis ses débuts comme conférencier en 2010.

« Il a beaucoup parlé de l’importance du respect, autant de soi-même que des autres. Il a aussi abordé le sujet de la détermination, un sujet qui est venu chercher plusieurs jeunes de notre programme qui ont une plus grande facilité à abandonner quand les choses ne se passent pas comme ils le veulent. Je pense que la détermination est une qualité qui doit être davantage enseignée à nos élèves. »

Si le discours de Martin a autant touché les jeunes de l’école Curé-Mercure et que celui de Jean-Gab a su inspirer les joueurs de football de Jacques-Rousseau, c’est aussi parce que les responsables du programme Ensemble à l’école s’assurent de jumeler joueurs et écoles de manière judicieuse.

« Les gars suivent des formations et peaufinent leur discours en compagnie de professionnels, explique Sidney Ginchereau, coordonnatrice des relations communautaires et de la Fondation des Alouettes. On sait donc, d’avance, de quoi ils parleront lors de leurs visites et on s’assure, autant que possible, de tenir compte des réalités des écoles visitées ainsi que des sujets qui les touchent le plus. Comme ça, il y a plus de chances que la visite ait un réel impact sur les élèves. »

Au cours de l’hiver 2020, nos joueurs visiteront une soixantaine d’écoles secondaires de la province afin d’encourager près de 10 000 jeunes à persévérer et à rester à l’école malgré les obstacles qu’ils auront à surmonter. Une 23e année passée à inspirer et motiver notre relève.